Espagne : Vodafone pourrait être démantelé par Telefónica et MásOrange
Telefónica et MásOrange en discussions pour acquérir Vodafone Espagne : un démantèlement à 5 milliards d'euros qui redessinerait le paysage des télécoms espagnols.

Le secteur des télécommunications espagnol s'apprête à vivre un nouveau séisme. Telefónica et MásOrange ont entamé des discussions informelles pour acquérir conjointement Vodafone Espagne, une opération potentielle de 5 milliards d'euros. Les deux géants envisageraient un démantèlement complet de l'opérateur, redistribuant ses différentes activités entre eux, dans un marché espagnol en pleine mutation.
Un Vodafone Espagne fragilisé et récemment revendu
L'histoire récente de Vodafone Espagne a pris un tournant décisif en mai 2024. Zegona Communications finalisait alors son acquisition pour 5 milliards d'euros auprès du groupe Vodafone, dans ce que Zegona qualifiait de "plus grande prise de contrôle inversée de l'histoire". L'objectif affiché : transformer une filiale en difficulté en acteur compétitif sur un marché ultra-concurrentiel.
La position de Vodafone reste fragile. Avec seulement 19% du marché mobile espagnol et 14% du haut débit fixe, l'opérateur souffre notamment d'un réseau fibre vieillissant face à des concurrents mieux équipés. Cette vulnérabilité attire désormais l'attention des deux autres acteurs majeurs du secteur.
La nouvelle puissance de MásOrange
La fusion entre MásMóvil et Orange Espagne, finalisée en 2024 pour 18,6 milliards d'euros, a créé un mastodonte baptisé MásOrange. Cette entité domine aujourd'hui le marché avec 42% de parts en mobile, 7,3 millions de clients fixes et 30 millions de services mobiles. Avec un chiffre d'affaires dépassant 7,4 milliards d'euros et un EBITDA de plus de 2,3 milliards, MásOrange dispose d'une puissance financière considérable pour participer à toute opération de consolidation.
Cette fusion, approuvée par la Commission européenne en octobre 2024, avait déjà redéfini l'équilibre du marché espagnol. Le régulateur avait alors imposé des conditions, notamment la cession de 60 MHz de spectre au bénéfice de DIGI, nouvel entrant disruptif.
Telefónica en quête de consolidation européenne
Telefónica, l'opérateur historique espagnol, ne détient plus que 26% du marché mobile national. Son nouveau président exécutif Marc Murtra, nommé en janvier 2025, a clairement affiché ses ambitions lors du Mobile World Congress : "Il est temps que les grandes entreprises européennes de télécommunications soient autorisées à se consolider et à croître pour créer une capacité technologique."
Cette vision s'inscrit dans la stratégie plus large de Telefónica, désormais recentrée sur l'Europe après avoir progressivement abandonné ses positions en Amérique latine, à l'exception du Brésil. Une revue stratégique complète est en cours, dont les résultats seront dévoilés plus tard cette année.
Un démantèlement complexe sous haute surveillance réglementaire
Les scénarios envisagés prévoient un découpage méthodique de Vodafone Espagne. Les activités fixes, mobiles et entreprises seraient réparties entre les deux acquéreurs potentiels. MásOrange pourrait notamment récupérer la marque low-cost Lowi, très prisée des consommateurs sensibles aux prix. Cette approche rappelle l'opération menée au Brésil en 2020, lorsque Telefónica s'était alliée à deux concurrents pour démanteler l'opérateur Oi SA.
Cependant, la CNMC (Commission nationale des marchés et de la concurrence) veille au grain. Le régulateur espagnol a déjà démontré sa vigilance lors de la fusion Orange-MásMóvil en imposant des conditions strictes pour préserver une concurrence effective.
Le marché pourrait également compter sur DIGI pour maintenir une pression concurrentielle. L'opérateur d'origine roumaine a franchi le cap des 4 millions de clients mobiles en mars 2024, avec une croissance impressionnante de 24% en un an. Son réseau fibre dessert 6,5 millions de foyers, dont plus de 5 millions peuvent accéder à des débits jusqu'à 10 Gbps.
Des contraintes financières déterminantes
Telefónica doit composer avec des limitations financières importantes. Sa notation de crédit BBB- de S&P Global Ratings la situe à la limite de la catégorie "investment grade", un statut que Marc Murtra s'est engagé à préserver. Avec un ratio d'endettement ajusté de 3,7 fois l'EBITDA, l'opérateur a peu de marge de manœuvre pour des acquisitions majeures sans partenaires stratégiques.
Ces contraintes expliquent l'approche conjointe avec MásOrange et la nécessité d'envisager des structures de financement créatives pour concrétiser l'opération sans dégrader le profil financier de Telefónica.
Une tendance européenne qui s'accélère
Si les discussions restent informelles à ce stade, elles s'inscrivent dans un mouvement plus large de consolidation des télécoms européens. Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne encourageait d'ailleurs cette évolution pour permettre l'émergence d'acteurs capables de rivaliser à l'échelle mondiale.
Le marché espagnol des télécommunications, évalué à plus de 39 milliards d'euros avec une croissance annuelle attendue de 3,02% jusqu'en 2033, demeure attractif. L'issue de cette opération potentielle redéfinira probablement le paysage des télécoms espagnols pour la prochaine décennie, entre concentration accrue et défis d'innovation technologique.
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